Stratégies: Cantonnées au stéréotype du gay fêtard, branché et dépensier, les marques oublient que la diversité de cette population constitue autant de cibles potentielles envers lesquelles elles pourraient communiquer de façon différenciée.
Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la population gay, forte d'une nouvelle visibilité, intéresse les marques. L'année 2003 a marqué une nette inflation du traitement de l'homosexualité à la télévision. Selon une étude du site media-g.net, observatoire du traitement de l'homosexualité dans les médias, on recense ainsi 764 émissions abordant ce thème à la télévision française en 2003, dont 241 sur les chaînes hertziennes. Les émissions comme La Nuit gay de Canal + ou les soirées Follement gay sur M6 sont au goût du jour. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a récemment donné son feu vert à Pink TV, première chaîne gay de l'Hexagone, qui commencera à émettre en avril. Le marketing gay à l'américaine va-t-il débarquer de ce côté-ci de l'Atlantique ? Aux États-Unis, on estime aujourd'hui à 200 millions de dollars la somme dépensée chaque année en achat d'espace par les annonceurs dans les médias gays et on dénombre une petite trentaine d'agences de communication spécialisées sur cette cible.
En France, le marché du conseil en marketing gay n'en est qu'à ses premiers pas. Depuis que cette population a été estampillée « prescriptrice de tendances », les marques lui font certes les yeux doux, mais restent prudentes. Le marketing gay en France se réduit le plus souvent à de la communication « gay friendly » (par exemple la campagne Minute Maid façon Village People) ou à des plans médias sans visuel ad hoc, telle la publicité Ted Lapidus dansTêtumontrant un couple... hétérosexuel. Les marques s'essaient parfois au « crypto-gay », via des allusions difficilement perceptibles par les non-initiés. D'autres annonceurs ciblent les « métrosexuels », jeunes hétérosexuels urbains branchés qui adoptent les codes vestimentaires et cosmétiques attribués aux gays. C'est en jouant sur cette tendance, par exemple, que Jean-Paul Gaultier a lancé sa ligne de soins de beauté pour homme « Tout beau tout propre ».
Mais le marketing gay reste à ce jour un marketing a minima. Certes, on peut se demander à quoi pourraient ressembler un yaourt ou une pizza gays... Il existe bien quelques offres, principalement dans le secteur des assurances et du tourisme. Des sociétés comme Attitude Travel, le BHV ou la SNCF ont développé des offres à tarif réduit pour couples pacsés. Citégay propose des assurances personnalisées et la chaîne d'hôtels haut de gamme Guest House Gay va prochainement ouvrir un établissement à Paris. Toutefois, les marques semblent surtout motivées par cette cible pour son côté prescripteur, et réduisent souvent l'image du gay à celle de l'« early adopter » au fort pouvoir d'achat.
Or,« les gays sont tout sauf un segment homogène,explique Gauthier Boche, consultant chez HighCo Institute et auteur de l'article « Publicité » dans leDictionnaire des cultures gays et lesbiennes(ouvrage dirigé par Didier Éribon, Larousse, 48 euros).Célibataires ou en couple, "milieu"[gay]ou non[hors milieu], il y aurait presque autant d'homosexualités qu'il y a d'homosexuels. »Philippe Karadayan, directeur de l'agence de rencontres Twogayther, renchérit :« La construction du stéréotype gay est rassurante pour le grand public et les annonceurs, elle permet de donner une image positive des gays. »Né de l'hypersegmentation, le marketing gay en France est curieusement non segmenté.
Un profil plutôt flou
L'obstacle majeur à une meilleure connaissance du marché gay reste le manque de données fiables. Pourtant, les statistiques abondent. On en vient même à créer de nouvelles typologies en forme de sociostyles. La société Online Partners, l'éditeur du site gay.com, distingue ainsi différents « profils » de gays, du « militant » au « libéré ». Mais quel crédit peut-on accorder aux études sur le sujet, sachant que la législation interdit en France comme aux États-Unis de mener des enquêtes sur la population à partir de l'orientation sexuelle ? Du coup, un biais important préside à la mise en oeuvre de toute étude sur cette population : l'échantillon « s'autoconstitue » à partir du lectorat des magazines ou des sites gays via lesquels sont menées les enquêtes. Les chiffres et statistiques disponibles varient du simple au double : on peut lire que la population gay et lesbienne représente au choix 4 %, 5 %, 6 %, 10 % ou 15 % de la population française et qu'elle serait constituée d'hommes à 85 %. Un chiffre étonnant au regard de la supériorité numérique des femmes dans la population totale. Le revenu annuel des couples gays serait supérieur à la moyenne nationale de 16 %, 30 % ou 41 %, là encore selon les sources... et le marché gay s'élèverait à 2 ou 3 milliards d'euros, un chiffre alléchant mais invérifiable.
De la transgression à l'opportunisme
Gauthier Boche, consultant chez HighCo Institute, détaille son analyse de la population gay et lesbienne en France.
« Il y a au moins deux types de communautés. Les communautés "d'être" et les communautés "de pratique" ou "d'usage". Être gay implique une identité sociale et intime autrement plus forte que d'être amateur de sports de glisse. D'autre part, ces communautés sont aussi des minorités sociales. Il ne faut pas perdre de vue que la " communauté gay ", avant d'être une cible marketing, était une cible politique. Comme toute communauté, elle a vécu et vit parfois encore la stigmatisation, le rejet et des formes de violences physiques ou symboliques. C'est en ce sens qu'il faut être très prudent dans les messages émis. En fait, nous sommes passés d'un marketing de la transgression à un marketing de l'opportunité : l'Euro-pride 1997 à Paris, sponsorisée par nombre de grandes marques, semble avoir été le véritable point de départ d'un " marketing gay ". À cette époque, les annonceurs qui ont participé à cet événement (RATP, SNCF, etc.) prenaient dès lors un caractère quelque peu transgressif. Aujourd'hui, à l'aune de l'assimilation des homosexuels dans le corps social, une pratique marketing mal préparée peut paraître comme rapidement opportuniste. Surtout de la part d'une marque peu présente au moment des luttes homosexuelles. »
Pourtant, de jeunes sociétés de conseil en marketing gay, comme Novencio - qui travaille en partenariat avec BDDP&Fils - affirment que« le marché gay est en passe de devenir très concurrentiel ». Un secteur sur lequel mise aussi Community Impact, agence spécialisée en marketing identitaire sur les cibles gay, ethnique, senior et solo ! Si, comme le prévoient ces nouvelles structures, le marketing gay se segmente enfin, « Dink » (Double income no kids - double revenu sans enfant) devrait cesser d'être la seule expression qui qualifie cette cible. C'est en tout cas l'idée que développe avec humour l'agence Red Boots dans la prochaine campagne européenne de Mastercard, avec le slogan : « Double Income, No Kids... Not yet ! » (« Double revenu pas d'enfant... enfin, pas encore ! »). Frédérick Boutry, fondateur de Red Boots et également créateur du magazineGus, lancé récemment sur le marché français, énonce clairement une politique de ciblage des« gays CSP + », sans pour autant tenter de justifier le positionnement « style de vie » de ce magazine par des discours humanistes ou militants.
Des codes à connaître
« Il serait présomptueux de parler d'une seule grande communauté. Les gays CSP + ne représentent pas une majorité, mais sont de réels prescripteurs de tendances. »Pour Frédérick Boutry, l'avenir est au marketing communautaire, car si une partie de la cible peut reproduire les schémas de consommation des « early adopters », les gays et lesbiennes s'inscrivent dans des styles de vie variés, à l'image de ceux représentés dans la campagne internationale pour le distributeur de boissons alcoolisées Maxxium. D'où la nécessité d'une hypersegmentation, afin de communiquer d'une façon pertinente car différenciée. Pour ce faire, il incite ses annonceurs à adapter leur communication au support et à la cible en développant pour eux des campagnes ad hoc. Selon François Sallard, directeur associé de BDDP&Fils,« la cible gay se situe à un point de connexion entre " segment " et " opinion ". Pour la toucher, il faut avoir les codes, les clés d'entrée, trouver les bons mots et les bons visuels. » C'est tout le défi que doivent relever les candidats au marketing gay.
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